Ce séminaire se propose d’étudier les rapports qu’entretiennent guerre et environnement au XXe siècle. Jusqu’ici cette question a peu retenu l’attention des historiens. Pourtant ces rapports, considérés au sens large, ont constitué au cours de cette période un opérateur majeur de reconfiguration de la biosphère et des liens Nature/Société. Ils ont dans le même temps contribué à façonner le champ et les modalités de l’agir militaire.
Les conflits et leur préparation ont transformé les environnements en profondeur : effets directs des combats ; extraction effrénée des ressources ; territoires en « état d’exception  » environnemental (zones d’essais d’armement, usines et bases militaires échappant aux régulations communes, no man’s land sous contrôle militaire constituant de facto des zones de préservation).
C’est aussi notre connaissance de l’environnement qui a en grande partie été façonnée en situation de conflit. Pendant la Seconde Guerre mondiale puis la guerre froide la Terre, transformée en champ de bataille, a été cartographiée, sondée, modélisée pour être maîtrisée en tant qu’espace d’évolution des troupes, des sous-marins, des vecteurs nucléaires. Ce formidable mouvement a été à l’origine des « sciences du système-Terre  » contemporaines ; il a catalysé l’émergence du diagnostic sur le changement climatique et des premiers projets de géo-ingénierie. Après 1945 l’écologie scientifique, elle aussi, a été reconfigurée par les rationalités savantes et les nouveaux enjeux issus de la guerre froide. L’expertise environnementale contemporaine a émergé sous le signe de l’affrontement militaire entre les blocs.
Les guerres chaudes et froides du XXe siècle ont également été décisives en matière d’inventaire, d’exploitation, de conservation et d’usage des ressources naturelles. Les deux conflits mondiaux ont suscité de vastes schémas d’approvisionnement se déployant à l’échelle des nations, des empires coloniaux et du globe tout entier. Après 1945 la « course aux ressources  » s’est intensifiée, dans une situation géopolitique de conflictualité et d’instabilité chronique liée à la guerre froide et la décolonisation. Dans ce contexte les institutions militaires et les acteurs industriels vivant en symbiose avec elles ont joué un rôle décisif pour orienter, théoriser, accompagner et imposer des politiques de recherche et de captation des ressources qui ont transformé les environnements et les sociétés à l’échelle globale.
L’environnementalisme moderne s’est lui-même affirmé en lien avec les menaces suscitées par la guerre froide. Au péril atomique a répondu l’émergence d’une réflexivité nouvelle quant aux conséquences potentiellement tragiques, globales et définitives de l’agir humain. L’essor de l’environnementalisme politique, dans les années 1960-1970, s’est fait dans un contexte o๠« protection de la Nature  », pacifisme et critique des guerres illégitimes (impérialistes, coloniales) étaient mis en rapport et revendiqués d’une même voix.
Ces éléments sont loin d’épuiser la question des rapports entre guerre et environnement au XXe siècle : à titre d’exemple elle pourra aussi être abordée à partir de l’analyse historique des représentations (de la Nature, de l’ennemi), d’une entrée par la question animale (place des animaux dans les conflits, interactions entre les technologies d’éradication et les technologies militaires), de l’étude de la diplomatie environnementale analysée dans son lien aux enjeux militaires.
Programme :
Séance du 16 janvier 2013 :
Fabien Locher
Introduction générale, présentation du séminaire
Séance du 20 février 2013 :
Gabrielle Hecht (University of Michigan)
Le prix de la souveraineté : l’uranium françafricain
Séance du 20 mars 2013 :
Paul Edwards (University of Michigan)
Cold War and carbon knowledge : the strange relations of climate science and nuclear weapons research
Séance du 17 avril 2013 :
Sandrine Revet (IEP de Paris)
Guerre froide et catastrophes naturelles : de la prédiction à la préparation
Séance du 15 mai 2013 :
Matthias Dà¶rries (Université de Strasbourg)
Chilly computations : Cold war and nuclear winter
Séance du 19 juin 2013 :
Gene Tempest (Yale university), à confirmer
Pour une histoire environnementale de 1914-1918 : Le cas des chevaux aux armées
Responsable : Fabien Locher, CNRS-EHESS, Centre de Recherches Historiques
Lieu : EHESS, 190 avenue de France 75013 Paris, de 15h à 17h, salle 527 (séance du 17 avril, 15 mai, 19 juin)