Histoire de la protection de la nature et de l’environnement
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RAMEAU Jean-Claude (1943-2005)

Jean-Claude Rameau est né le 14 avril 1943, à Chaumont (Haute-Marne), de Marie Rameau, alors employée de cuisine, et de père inconnu. Jamais sa mère n’accepta de parler à son fils de son père. Durant son enfance et son adolescence dans sa ville natale, Jean-Claude souffre beaucoup du mépris et des moqueries à l’encontre du « fils de boche ». Il manifeste très tôt une formidable de volonté de revanche : « À tous ces bourgeois de Chaumont, je vais leur montrer ce que vaut un bâtard », qui peut expliquer en partie sa capacité de travail hors du commun, son énergie inépuisable et sa large curiosité, qui ont frappé tous ceux qui l’ont côtoyé. Sa révolte contre l’injustice et sa sensibilité politique de gauche, qu’il conserva toute sa vie, y trouvent probablement aussi leurs racines.

Il fut principalement élevé par ses grands-parents qui le gâtèrent matériellement, mais sans qu’il connaisse vraiment l’amour familial, dans une ambiance peu chaleureuse où il ne bénéficiait pas d’une vraie confiance. Son grand-père maternel, conducteur de locomotive affecté au dépôt de Chaumont, était adhérent à une société horticole. Il lui fit découvrir la nature et les plantes. Sa mère, devenue vendeuse dans une papeterie, ne pouvait pas lui financer des études et, bien qu’il eût souhaité devenir pharmacien [1] , il passe le concours de l’école normale d’instituteurs de Chaumont, qui lui garantit le financement de ses études. Il est reçu major. Il commence très tôt à fréquenter à Chaumont sa future femme, Françoise préparatrice en pharmacie, et toute sa vie, il apprécia beaucoup l’esprit de famille qui régnait dans sa belle-famille.

Diplômé à 19 ans, il n’exerce que quinze jours le métier d’instituteur, et bénéficie tout de suite de l’autorisation de continuer ses études à la faculté de Dijon, tout en enseignant en parallèle au collège de Bourmont de 1962 à 1965, comme professeur de sciences naturelles et d’allemand, avant d’être nommé au collège Louise Michel de Chaumont de 1965 à 1969. Titulaire de la licence de sciences naturelles de l’Université de Dijon et reçu deuxième au CAPES de sciences naturelles en 1969, il est professeur de sciences naturelles au lycée Bouchardon de Chaumont de 1969 à 1982. Il obtient son D.E.A. de biologie végétale en octobre 1970, à l’Université de Besançon, avant de devenir docteur de 3ème cycle, en mars 1974, à l’Université de Besançon.

Dès 1973, il se lance dans une politique très active de communications à des colloques scientifiques, qui le conduisent à être reconnu par ses pairs, aux niveaux national et international, et à développer de grandes synthèses, nationales ou européennes. Sa passion est d’aller sur le terrain et d’y réinterroger à ce niveau les hypothèses et classifications scientifiques alors admises, avec un grand souci de la géologie et de la pédologie, préoccupation alors relativement peu partagée par la majorité des botanistes. À partir de 1975, il enseigne en D.E.A. à l’Université de Besançon, où il est repéré par Marcel Jacamon [2] (1918-2007), ingénieur et enseignant en botanique forestière au centre de Nancy de l’École nationale du génie rural, des eaux et des forêts (ENGREF, aujourd’hui AgroParisTech Nancy).

Un protecteur engagé de la nature et du patrimoine culturel

Adhérent très actif de la société des sciences et d’archéologie [3] de Haute-Marne, et de bien d’autres associations locales ou professionnelles, il noue des liens solides avec des botanistes et avec nombre de personnes alors préoccupées par les grands projets d’aménagement dans le département. En 1969, il est l’un des trois co-fondateurs de la Société haut-marnaise pour la protection et l’aménagement de la nature (SHMPAN), devenue ultérieurement Nature-Haute-Marne, puis Haute-Marne-Nature-Environnement), en réaction notamment à certains projets forestiers de la société d’aménagement des friches de l’Est et de la Société Forestière de la Caisse des Dépôts et Consignations. Aux côtés de son ami Jean-Marie Royer, phytosociologue et militant associatif, il s’engage vigoureusement dans la lutte contre la disparition des pelouses calcaires, l’enrésinement, l’utilisation des produits chimiques en forêt, l’abattage des arbres le long des routes, et la destruction des vestiges archéologiques à l’occasion de grands projets d’aménagement. Il est aussi solidaire des luttes de l’association contre la pollution, le recalibrage des cours d’eau et la conception d’alors des remembrements fonciers agricoles.

Au tournant des années 1970, dans son souci inlassable d’informer et de former, il initie, avec Jean-Marie Royer, un recensement sur le terrain des sites haut-marnais, tant naturels qu’archéologiques, méritant une protection et le publie, militant pour des classements au titre de la loi de 1930 ou le recours à un arrêté préfectoral de protection de biotope après 1977, afin de contourner les lourdeurs d’un classement en réserves naturelles nationales. Il siège à la commission départementale des sites, et rédige aussi des brochures didactiques pour aider ceux qui acceptent de prendre des responsabilités dans la protection de la nature. Il met en place parallèlement des réunions d’information dans tous les chefs-lieux du département, ainsi que des expositions, et surtout des sessions annuelles de formation auxquelles il resta fidèle presque toute sa vie, organisant des voyages d’étude. Il milite avec succès pour l’achat de sites à forte valeur patrimoniale par le département, et prône, mais sans grand résultat, la création d’un centre d’initiation à la nature à Auberive.

Sa force incontestable est d’allier le savoir scientifique et une connaissance incomparable du terrain. Dans les combats auxquels il participe, il est souvent mis en avant, d’une part parce qu’il cherche toujours à expliquer, argumenter, former et convaincre, mais aussi parce qu’il n’est nullement impressionné par ceux à qui il s’oppose : préfets, DDA, ONF, élus ..., n’hésitant pas à intervenir personnellement, avec succès, auprès du président de la République (alors Valéry Giscard d’Estaing) pour faire désavouer un préfet. Il anime des campagnes de presse virulentes (assumant le terme de « harcèlement ») à l’encontre des projets qu’il combat, engage des actions en justice, et devient rapidement l’objet d’un fort rejet et de rancœurs de la part de l’ONF et de la DDA.

En 1977, il s’engage très fortement contre le projet de modernisation et d’agrandissement des thermes de Bourbonne-les-Bains, qui prévoyait la destruction des vestiges thermaux gaulois et romains. Il essuie un grave revers qui l’affecte psychologiquement en profondeur. Cela semble avoir contribué à faire évoluer sa vision de ce que pourrait être son engagement personnel en faveur de l’environnement : former et convaincre, de l’intérieur, les acteurs majeurs de l’aménagement ne serait-il pas aussi fructueux, voire plus efficace à moyen et long terme que de rester dans le seul registre du militantisme associatif ?

Le tournant des années 1970-80 fut aussi le moment où Marcel Jacamon commence à militer activement pour qu’il prenne sa succession au centre de l’École nationale du génie rural, des eaux et des forêts (ENGREF) de Nancy, malgré certaines préventions de collègues enseignants et de responsables forestiers. En 1983, il y est effectivement nommé comme faisant fonction d’enseignant-chercheur en phytoécologie forestière, après avoir en fait pris ses nouvelles fonctions à la rentrée 1982. En septembre 1987, il soutient sa thèse de docteur d’État sur la “Contribution phytoécologique à l’étude des écosystèmes forestiers. Applications aux forêts du N-E de la France”.

Une référence scientifique et technique au sein de la communauté forestière

Commence alors une nouvelle étape de sa vie. En une dizaine d’année, grâce à un travail acharné, il sait vaincre les réticences qui s’étaient manifestées à l’occasion de sa nomination, nouer un solide réseau de relations au sein de nombreux groupes techniques institutionnels, démontrer la qualité et la pertinence de ses analyses, et devenir une référence technique et scientifique reconnue dans le milieu forestier, sans jamais renier sa sensibilité environnementale. Pour cela, il sait profiter de la conjonction de trois facteurs :
• son incontestable charisme de pédagogue, non seulement auprès de ses élèves, mais aussi dans tous ses contacts avec des responsables forestiers : il veut séduire, expliquer et convaincre ;
• son extraordinaire capacité à allier une vision naturaliste quasi encyclopédique dans son domaine de compétence, dépassant très largement le seul contexte français, avec une connaissance fine du terrain, en se déplaçant beaucoup pour répondre à des demandes sur des problèmes rencontrés par les gestionnaires, en partageant avec les forestiers la conviction de la « vérité du terrain » ;
• la montée d’une sensibilité nouvelle d’une partie croissante des forestiers - qu’il a lui-même contribué à créer et enrichir - aux questions environnementales, le conduisant à être de plus en plus identifié, lui et les groupes de travail auxquels il contribue très activement, comme « un centre de ressources ».

Les années 1990 vont faire de lui un interlocuteur reconnu, respecté et quasi incontournable, à la fois des institutions forestières et des milieux de la protection de la nature. Cette reconnaissance découle de son engagement dans la mise en œuvre des nouvelles politiques environnementales qui interfèrent avec la gestion forestière, notamment dans les aires protégées, mais surtout via le grand projet de réseau écologique communautaire Natura 2000. Comprenant les deux parties et leurs sensibilités respectives, maîtrisant la sensibilité, le vocabulaire et les concepts des forestiers comme des protecteurs de la nature, il est apparu à tous comme un interlocuteur crédible, capable de faire progresser la réflexion des forestiers comme des protecteurs de la nature, à même de déminer certaines incompréhensions et de proposer des pistes de travail en commun dans les nombreux conflits de cette période. D’une certaine manière, le « Rameau » des années 1970 et celui des années 1980, tels que perçus respectivement par les forestiers et les protecteurs de la nature, se réconcilient publiquement, en créant une dynamique efficace et fructueuse dans la mise en œuvre des nouvelles politiques publiques de la forêt et de l’environnement.

Il plaide inlassablement pour une gestion forestière intégrée, prenant en compte la biodiversité, l’aménagement forestier et la sylviculture, en estimant possible, dans la grande majorité des cas, de concilier écologie et économie. Il pose très tôt les bases de travaux de recherche sur les forêts sans intervention humaine (sans se limiter aux seuls arbres), en s’intéressant beaucoup aux réserves biologiques intégrales de l’ONF et aux forêts anciennes relictuelles européennes, comme Białowieża. Présent et pro-actif sur tous les grands défis forestiers, il contribue notamment aux expertises et débats sur la reconstitution des forêts après les gigantesques chablis de décembre 1999, en publiant en 2000 un document de 133 pages, intitulé « Dynamique de la végétation ».

Impliqué dans la constitution du réseau européen de sites Natura 2000

Jean-Claude Rameau est un partisan convaincu des grands objectifs poursuivis par la Commission européenne au travers du réseau Natura 2000, même s’il a des réserves sur certains points. Mais très tôt, il est sensible au potentiel conflictuel des procédures de mise en œuvre de cette directive, aux limites des annexes techniques inspirées des travaux du Pr Albert Noirfalise (1916-2000), et à la nécessité d’une pédagogie adaptée pour convaincre et associer tous les acteurs concernés, car chacun, avec ses savoirs de types universitaire ou naturaliste, peut apporter une contribution précieuse à la mise en œuvre de ce projet. Sa première initiative est de traduire les annexes forestières de la directive de 1992 dans les catégories utilisées par les forestiers français, pour préciser ce dont on parle et mettre en perspective les choix de la directive : c’est le volumineux document « Typologie phytosociologique des habitats forestiers et associés - Types simplement représentatifs ou remarquables sur le plan patrimonial. » (1994), et surtout le « Référentiel français des habitats concernés par la Directive Habitats (forestiers et associés à la forêt) : habitats prioritaires, habitats d’intérêt communautaire. » (1997), édités par le ministère chargé des forêts. Après le gel de la mise en œuvre de la directive « habitat, faune, flore », décidé par le Premier ministre Alain Juppé en juillet 1996, il prend une part très active dans un groupe de travail réunissant notamment les organismes forestiers et le MNHN, pour faire au ministère de l’environnement des propositions permettant de relancer le processus.

Il ne cesse ensuite d’entremêler trois niveaux complémentaires d’implication personnelle dans le débat, alors hautement conflictuel :
• une présence assidue (en réponse à des sollicitations, mais aussi de manière proactive) auprès de la sous-direction de la forêt comme auprès de la direction de la protection de la nature qui lui avait confié dès 1993, la direction du groupe d’experts chargé de concevoir puis de suivre l’inventaire des sites Natura 2000 potentiels dans la région biogéographique continentale française, suggérant des méthodologies et des priorités [4] ;
• l’explicitation et la valorisation des objectifs poursuivis par la directive de 1992 auprès des partenaires forestiers, par des articles et des prises de paroles dès qu’il est sollicité ;
• sa présence sur le terrain en tant qu’expert reconnu à la fois par les forestiers et les protecteurs de la nature, lorsque des conflits locaux exigent d’objectiver les termes d’un conflit et d’identifier comment le dépasser.

Ses suggestions et sa présence sur le terrain contribuèrent utilement à l’apaisement progressif des tensions et conflits dans le secteur forestier autour du réseau Natura 2000, au début des années 2000. Il y gagna une reconnaissance officielle, qui se traduisit par l’attribution de la Légion d’Honneur, et ultimement, par une lettre de condoléance ministérielle lors de son décès le 6 octobre 2005 dans le massif du Mercantour-Argentera, lors d’une tournée forestière de l’ENGREF, sur le terrain, entouré de ses élèves.

Sa mémoire fut honorée par un colloque qui s’est déroulé sur le campus de l’Office national des forêts de Velaine-en-Haye du 12 au 14 novembre 2008. Ce colloque intitulé “La phytosociologie face aux défis de la connaissance et de la gestion durable des espaces naturels” fut organisé par AgroParisTech-ENGREF avec l’aide de la Société française de phytosociologie et de la Fédération des conservatoires botaniques nationaux.

Père d’une fille et d’un fils, il se consacra néanmoins pleinement à son métier et à ses engagements associatifs, laissant à son épouse toute la charge de l’intendance et de l’éducation, consacrant l’essentiel de ses week-ends et de ses vacances au travail. Ce n’est qu’à partir des années 1990, au moment où son travail acharné s’accompagna d’une véritable reconnaissance officielle, que ses relations familiales évoluèrent vers plus de disponibilité et de proximité, notamment avec sa fille. Il fut alors un grand père attentif. Son tempérament explique que ce n’est qu’au moment de son décès que sa famille découvrit, avec une surprise certaine, la place qu’il avait prise dans les milieux forestiers et de protection de la nature, et la considération générale dont il jouissait.

Le dernier volet de sa personnalité et de son action, le moins connu des forestiers, est celui de sa fidélité au mouvement associatif de protection de la nature en Haute-Marne. Après des années d’engagement très fort et d’exposition médiatique locale, il prit de la distance lors de sa prise de fonction à l’ENGREF, mais il resta membre des associations au sein desquelles il avait agi. Comme le disaient ses anciens camarades de combat, il « mit de l’eau dans son vin » en faisant évoluer ses analyses à la lumière de son nouveau contexte de travail et de sa prise de conscience de l’influence qu’il pouvait avoir de « l’intérieur du système ». Mais il resta toute sa vie fidèle à ses convictions initiales, même si les moyens de les défendre étaient différents. Il continua à siéger formellement à des conseils d’administration associatifs, mais en étant souvent absent ou peu disert, préférant aider épisodiquement « en sous-main » sur quelques dossiers sensibles. Cependant il n’abandonna jamais son travail de formation de militants associatifs. Ce n’est qu’en 2004 qu’il abandonna toute responsabilité associative, démissionnant en même temps que deux autres vice-présidents de Haute-Marne-Nature-Environnement, en passant la main à une autre génération et à d’autres sensibilités.

Il était Médaille d’or de l’Académie d’Agriculture pour la publication du tome 1 de la Flore Forestière Française (1990), Médaille d’or de la Société Botanique de France pour la publication du tome 2 de la Flore Forestière Française (1994), chevalier des Palmes Académiques (1994), officier du Mérite Agricole (1996), chevalier de la Légion d’Honneur (1999).


Par Christian Barthod


[1Toute sa vie, il conserva un intérêt pour les plantes médicinales et les champignons, envisageant même, un temps, d’écrire un livre sur les plantes médicinales.

[2Qui vint régulièrement participer sur le terrain aux formations de militants associatifs dispensées par Jean-Claude Rameau, ce qui rapprocha les deux hommes et convainquit Marcel Jacamon de son potentiel scientifique et pédagogique pour la formation des ingénieurs forestiers.

[3Toute sa vie, il resta intéressé par le patrimoine archéologique et historique ; il aimait en parler ou s’informer dans ce domaine.

[4C’est à la suite de plusieurs échanges avec J-C Rameau que la sous-direction de la forêt proposa à la Direction de la Protection de la nature (DPN) et au Muséum National d’Histoire Naturelle (MNHN), qui l’acceptèrent, de s’engager, sous le pilotage du Muséum, dans la rédaction de « cahiers d’habitats forestiers » mobilisant à la fois les savoirs forestiers et naturalistes sur les habitats forestiers de la directive. Cette option, reconnue fructueuse à l’issue de l’élaboration de ces premiers « cahiers » fut ensuite étendue à d’autres types d’habitats naturels et aux espèces. , tout en conservant une entière liberté intellectuelle et d’expression.


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