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Les années 1990 : en marche vers le développement durable


Développement durable ? Développement soutenable ?

Attribuée au rapport de Mme Harlem Gro Brundtland « Our common future  » (1987) commandité par la Commission mondiale sur l’environnement et le développement de l’ONU, la notion de développement « durable  » ou plutôt « soutenable  » prend racine dès le XIX° siècle. Elle repose sur l’idée que l’usage des ressources naturelles par l’homme doit se faire en tenant compte de leur capacité de renouvellement. Cela concerne le monde vivant. L’on ne peut, en effet, inclure l’exploitation des ressources fossiles (charbon, hydrocarbures, etc.) dont le renouvellement ne peut s’envisager qu’à l’échelle de temps géologiques hors de portée de notre humanité.

A signaler que la Commission de l’ONU précitée avait bien spécifié dans la traduction française du rapport « Notre avenir à tous [1]  » , d’utiliser le mot « soutenable  », se rendant, peut-être, compte que le mot « durable  » conduirait à ce que, pour beaucoup, le développement durable serait perçu comme un développement appelé à se poursuivre sans contingence, ce qu’implique, au contraire, le mot « soutenable par rapport à Â ».

Mais l’idée n’était pas nouvelle. Elle s’exprimait déjà dans les écrits de François-André Michaux [2] et de Jacques-Gérard Milbert [3] au moment même, oà¹, pour Jean-Baptiste Say [4] « Les richesses naturelles sont inépuisables, car sans cela, nous ne les obtiendrions pas gratuitement. Ne pouvant être ni multipliées, ni épuisées, ellesne sont pas l’objet des sciences économiques  ».

Jean-Baptiste de Monet, chevalier de Lamarck [5], tout comme popularisé par Elisée Reclus [6] reprennent, sous des formulations différentes, l’idée que les activités humaines doivent tenir compte des capacités des ressources naturelles et du souci des générations futures.

Jean Rostand [7] s’inscrira dans la même pensée tout comme les conclusions du colloque « Utilisation et conservation de la biosphère  » organisé par l’Unesco, à Paris, en septembre 1968, à l’origine du lancement du programme international MAB (Man and biosphere) en 1971. Cette même année des économistes du Nord et du Sud (Samir Amin, Charles Correa, Marc Nerfin, Ignacy Sachs) réunis à Founex, en Suisse, par Maurice Strong, futur secrétaire général des Conférences des Nations unies de Stockholm (1972) et Rio de Janeiro (1992) lancent le concept « d’écodéveloppement  ».

Le titre à sensation et malhonnête de « Halte à la croissance !  » de la version française du rapport Meadows au Club de Rome [8] montre combien la notion de « limites  », de « contingences  » pouvait (et peut toujours) paraître obscène à certains.
C’est, semble-t-il, à la Stratégie mondiale lancée, en 1980, par l’Union internationale de conservation de la nature (UICN) « World conservation strategy : Living resources conservation for sustainable development  », que l’on doit l’apparition de la formule « développement soutenable  » qui sera ensuite largement utilisée. Les premiers mots de cette stratégie sont : « L’humanité, dans sa volonté de réaliser son développement économique et dans sa quête des richesses naturelles, doit accepter la réalité de la limitation des ressources et de la capacité de charge des écosystèmes, et tenir compte des besoins des générations futures  ».

Comme le constatera le démographe Nathan Keyfitz [9] , il y a une différence fondamentale entre l’approche communément adoptée par la plupart des économistes et celle des biologistes lorsqu’il s’agit de traiter de développement, de croissance. Pour les premiers, la notion de « limite  » reste bien souvent intolérable, d’o๠la difficulté d’emprunter le vrai chemin du développement soutenable. Pour les seconds, comme l’écrivait Mme Brundtland il s’agit « de répondre aux besoins du présent sans compromettre la possibilité pour les générations à venir de satisfaire les leurs (…). La notion de développement soutenable implique certes des limites. Il ne s’agit pas de limites absolues mais de celles qu’imposent l’état actuel de nos techniques et de l’organisation sociale ainsi que la capacité de la biosphère de supporter les effets de l’activité humaine.  »

Jean-Pierre Raffin


[1Éditions du Fleuve – Les Publications du Québec. 1988

[2Histoire des arbres forestiers de l’Amérique septentrionale considérés principalement sous les rapports de leur usage dans les arts et leur introduction dans le commerce. L. Haussmann et d’Hautel. Paris. 1810-1813

[3Itinéraire pittoresque du fleuve Hudson et des parties latérales de l’Amérique du Nord. Henri Gauguin & Cie. Paris.1828

[4Traité d’économie politique, ou simple exposition de la manière dont se forment, se distribuent et se consomment les richesses. Bibliothèque des Sciences morales et politiques. Paris. 1803

[5Système analytique des connaissances positives de l’homme restreintes à celles qui proviennent directement ou indirectement de l’observation. J-B. Baillière. Paris. 1830

[6Dans La Terre. Description des phénomènes de la Vie du Globe. Hachette. Paris 1869 puis dans l’Homme et la terre, encyclopédie achevée en 1905. Bibliothèque universelle. Paris

[7Le Courrier de la Nature. 18. Octobre-décembre 1965

[8The limits to growth. Fayard. Paris. Janvier 1972

[9Croissance démographique : qui peut évaluer les limites ? La Recherche. 264. Avril 1994